samedi 7 décembre 2013

Souvenirs de Paris, avant Noël




  
  

          
            J’avais retrouvé Paris à la mi-décembre déjà prêt pour le spectacle des fêtes. Encore très loin de la crise et de toute autre inquiétude matérielle, il resplendissait. Malgré la profusion des ornements et des lumières, tout lui allait à merveille.
           Je ne voyais pas les gens, d’ailleurs nombreux. Je les sentais plutôt : ils ne touchaient pas terre, mais flottaient doucement au ras du sol, pareils à de grands flocons multicolores compensant la neige qui tardait ou à des sylphes gracieux et muets dont le va-et-vient s’insinuait discrètement dans le spectacle des illuminations, ahurissant mais accueillant en même temps. Tout s’agençait pour persuader les spectateurs de la qualité de la représentation et les inviter à entrer dans le jeu.
          Il suffisait qu’on ouvrît la porte d’une parfumerie, ne fût-ce que pour un instant, et les fragrances s’en évadaient, subtiles, elles vous accompagnaient pour un temps, jusqu’à ce que des arômes envolés d’une pâtisserie prissent le relais. Suivait le tour des effluves du café, plus alléchantes qu’en été, plus intenses qu’en automne. Tout se succédait subtilement, histoire de faire comprendre à des passants comme moi que personne ne pouvait être seul avant Noël. Et je ne l’étais pas, en effet.
       Néanmoins, à mesure que Noël approchait et que la vue des décors urbains se transformait en cliché, une impression d’inconsistance et de factice  avait commencé à m’habiter. Plus un je ne sais quoi d’irréel et de triste. Je me disais que c’était à cause des vitrines. A cause de toute la féerie des grands magasins, redondante et quasiment inutile à force d’exhibition et des regards désabusés, comme s’il n’y avait plus rien d’extraordinaire dans le décor. Dehors, le spectacle des lumières et des décorations devenait harcelant. Tout criait Noël et pourtant j’étais incapable de le percevoir.
        Deux jours avant la grande fête, j’avais laissé derrière moi le faste des Champs-Elysées, envoûtant mais trop bruyant, le beau sapin de Notre-Dame, où les flashs des appareils photo rivalisaient avec les guirlandes lumineuses. Seule l’étoile du sommet  échappait à l’assaut des caméras, qui s’ingéniaient à multiplier Paris tout en le fragmentant et en le rendant méconnaissable. Cependant, comme d’habitude, Paris se laissait faire. C’est peut-être pour cela aussi que mon amour pour cette ville est si profond et contradictoire à la fois : telle une star adorant les acclamations des fans et les bains de foule, Paris a parfois l’air de ne plus se lasser de ses admirateurs, d’où la tendance à se maquiller trop.
        La Seine reflétait elle aussi les éclairs festifs. Elle renvoyait un air de tristesse sur le crépuscule de cet après-midi hivernal ; ses flots, percés de lumières trop vives, se balançaient comme pour s’offrir une berceuse muette. Deux jours avant la veille de Noël et le monde hésitait entre le spectacle et la solitude.
        Encore deux pas. Une plate-bande d’herbe fraîche, défiant la saison,  me retint un instant et me coupa le souffle. Une fraîcheur de printemps, que je n’avais jamais vue au mois de décembre. Pont Neuf. Deux amoureux se tenant par la main passèrent discrètement près de moi. Appuyée sur le rebord du pont, je contemplais  l’Ile de la Cité. Superbe, familière et étrangère à la fois. Un  petit garçon et sa maman se mirent à côté de moi pour regarder. Le petit dit à sa mère :
             - Maman, j’ai vu Père Noël ! 
                                 - Certainement, on l’a vu ensemble ! 
              - Mais non ! Pas celui-là ! Juste maintenant ! Là !
              - Ah bon ? Où ça ?
             - Mais maman ! Regarde ! Là-haut, dans le traîneau !
             - Ah, t’as raison, mon chéri ! ajouta sa mère en regardant elle aussi dans le ciel.
             - Tu sais pourquoi il passe si tôt ?
              - Non…, répondit sagement sa maman. 
             - Ben, c’est parce qu’il doit faire le tour du monde !
             - Tout à fait ! Mais il reviendra sur Paris, juste à temps !
     L’enfant était ravissant. Sérieux, il n’avait rien d’un enfant gâté. J’ai adoré sa mère pour être  entrée dans son jeu. Qui n'en était pas un comme les autres.
     Je souris, émue. Mon garçon me manquait. C'était lui mon miracle, ma magie. J’avais hâte de le retrouver, je n’imaginais pas Noël loin de lui.  Le stage auquel je participais m’enthousiasmait ; pourtant, aucune stratégie didactique  ou technique de classe n’avait plus de sens à ce moment-là.
    Le lendemain, en route vers l’aéroport, j’aperçus les flocons de neige. Grands mais gracieux, surpris dans une danse lente et délicate des adieux. Le bel Paris m’assurait qu’il n’avait pas capitulé devant l’offensive consumériste.
    Déjà chez moi, j’emmenai mon garçon au parc pour admirer le sapin et se réjouir de la neige à peine tombée. Ma ville n’avait pas le faste de Paris, mais le sapin du parc central et les guirlandes lumineuses suffisaient pour rendre heureux les enfants. Mon gosse jouait dans la neige et tout le monde lui appartenait. Il avait une fine couche blanche sur le blouson et les joues roses. Soudain, il demeura immobile et regarda vers le haut. Tout de suite, il m’entraîna par la main  et me montra le ciel étoilé.
            - Maman, regarde !
            - Où ça ?
            - Là, à gauche ! C’est Père Noël !
             - Mais bien évidemment ! Je le vois maintenant !
    Une joie indicible me conquit. Pendant que j’embrassais mon enfant, les yeux rivés sur les étoiles, je vis vraiment Père Noël, mais aussi un petit garçon de Paris, sur le Pont Neuf, saluant le traîneau et l’attendant patiemment.
    Aujourd’hui encore, après de longues années, la veille de Noël superpose, dans mon esprit, deux garçons, qui ne se connaîtront probablement jamais, mais qui sont définitivement unis par la même magie, comme des milliards d’autres enfants du monde, veillant à ce que les miracles soient encore possibles.




  




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